Voici un petit livret écrit à trois voix : celle d’un philosophe (André Comte-Sponville), celle d’un historien des mentalités religieuses (Jean Delumeau) et celle d’une spécialiste de la vie populaire au siècle des lumières (Arlette Farge). Chacun présente, dans un jeu de question/réponse, une rapide histoire des conceptions du bonheur selon le point de vue de sa discipline. André Comte-Sponville nous rappelle que la Grèce antique est le berceau d’une certaine pensée du bonheur et des chemins possibles pour s’en approcher, que l’on suive Épicure, les Stoïciens ou Aristote. La possibilité de l’atteindre sera plus tard remise en question, qu’on en fasse un concept indéterminé comme Kant ou qu’on s’interroge sur la morsure du désir et du manque comme Pascal ou Spinoza. De son côté, Jean Delumeau retrace l’invention du paradis et de ses représentations. D’abord jardin luxuriant, lieu de félicité éternelle dans la proximité de Dieu et de ses anges musiciens, le paradis s’intériorise avec la Réforme pour devenir à l’époque moderne le lieu d’espérance où l’on retrouve les êtres aimés. Enfin, Arlette Farge nous montre qu’au XVIIIe siècle, le bonheur revient s’incarner sur terre : dans les plaisirs, le badinage, les discussions de l’homme des Lumières… S’il est encore trop tôt pour parler d’une « démocratisation » du bonheur, il y a tout de même l’idée que chacun, homme ou femme, peut s’amuser, boire, aller à la kermesse… Il faudra cependant attendre la révolution de 1789 pour que le bonheur du peuple devienne un réel enjeu politique et une quête collective. Il ressort de ces trois volets un panorama autant historique que conceptuel, qui nous rappelle que le bonheur n’a pas toujours eu la même importance, le même contenu, ni la même signification.