Ce petit opus est la transcription d’une conférence donnée en 1999 (souvent reprise) et suivie par une période de questions du public, elles aussi retranscrites. Dans un premier temps, Comte-Sponville s’interroge sur les raisons pour lesquelles nous sommes si peu ou si difficilement heureux. C’est qu’il semble y avoir, dans le bonheur lui-même, une contradiction logique. Tout homme désire être heureux. Or, la nature du désir semble nous condamner au tragique : le désir est manque si bien que tout désir comblé disparaît bientôt comme désir ; ce qu’on vient d’obtenir ne nous intéresse déjà plus, l’ennui point. Ce que je désirais, et qui devait faire mon bonheur, déçoit ; le bonheur lui-même que je désire, lorsque je l’atteins, m’ennuie. Le bonheur, coincé entre les oscillations du désir et de l’ennui, n’est donc que fugacement entraperçu et au final, perpétuellement manqué. Ne peut-on désirer ce qu’on a, et donc être heureux ? Oui, répond Compte-Sponville, mais alors il faut ramener le bonheur du côté de la joie et du plaisir. L’erreur, quand on définit le désir comme manque, c’est de l’assimiler à l’espérance. Espérer, selon Compte-Sponville, revient à désirer sans savoir (on ignore l’issue de notre espérance), sans pouvoir (on n’espère que ce qui ne dépend pas de nous) et sans jouir (la jouissance est sans cesse ajournée). Or, tout le désir n’est pas espérance. Il suffit donc d’écarter, dans notre désir de bonheur ou dans notre désir vers le bonheur, tout ce qui relève de l’espérance. Ceci distingué, il est évident – et même souhaitable – qu’on peut désirer ce qu’on sait, ce qu’on peut, ce qu’on a, bref, ce qui dépend de nous, et que nous pouvons nous en réjouir. C’est donc par là qu’il y a un bonheur possible en actes. Le bonheur désespéré, c’est donc un bonheur qui enracine son désir dans le présent en s’étant débarrassé du tragique de l’espérance.