Luc Ferry / Spinoza et Leibniz, le bonheur par la raison

Et encore une fois un titre accrocheur, qui ne remplit pas ses promesses. « Le bonheur par la raison » était-il donné en sous-titre, mais c’est très indirectement que l’on trouvera un quelconque rapport avec le bonheur en ces pages. C’est même à peine si on nous parle de Leibniz. Un titre plus honnête aurait été « pourquoi le système de Spinoza, d’après M. Ferry, ne tient pas ». Cela dit, mis à part la déception que ressentira tout auditeur de ce CD qui espérait en apprendre sur le bonheur chez Leibniz et chez Spinoza, il restera pour les amateurs de philosophie, 1h15 de cours consacré à une certaine lecture de Spinoza plutôt agréable à écouter.

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André Comte-Sponville & François Jullien / Bonheur, Visions Occidentales et Chinoises

Voilà a contrario, 3 CD qui tiennent leurs promesses, car c’est bien de bonheur et uniquement de bonheur que nous dissertons ici. Le premier CD est tenu par André Comte-Sponville, vous y retrouverez pour l’essentiel l’exposé qui avait fait l’objet d’un petit ouvrage Le bonheur désespérément. Le deuxième CD contient l’exposé de François Jullien, spécialiste de la pensée chinoise. Le troisième est consacré aux questions que s’adressent les deux invités. L’exposé d’André Comte-Sponville est très clair et pédagogique. Il soutient, en visitant entre autres Platon et Spinoza, que le bonheur risque fort de nous échapper tant que nous en faisons un but, et que notre chance de le retrouver est d’en faire non pas un but mais une expérience. L’exposé de François Jullien sera plus difficile d’accès si vous n’avez pas de bagage philosophique, mais il est particulièrement intéressant et vaut la peine que vous vous accrochiez un peu si besoin est. On y apprend notamment que la Chine n’a pas pensé le bonheur comme la pensée indo-européenne a pu le faire. La Chine n’a en effet pas construit d’opposition entre bonheur et malheur, elle n’a pas non plus élaboré de concepts d’âme, de corps ou de finalité, pas d’ontologie en Chine, pas de pensée de l’être, de pensée du manque ni de pensée de l’éternité. Toutes les questions fondamentales de la Grèce n’ont pas été pensées en Chine. C’est donc une vision tout à fait différente que François Jullien déroule sous nos yeux. On regrette de ne pas en apprendre plus et vous aurez sûrement, comme moi, l’envie de creuser la question. Le dernier CD est à réserver aux initiés, sautez-le sans regrets si vous vous sentez largué, le plus intéressant de l’enregistrement n’est pas là.

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André Comte-Sponville / Le bonheur, désespérément

Ce petit opus est la transcription d’une conférence donnée en 1999 (souvent reprise) et suivie par une période de questions du public, elles aussi retranscrites. Dans un premier temps, Comte-Sponville s’interroge sur les raisons pour lesquelles nous sommes si peu ou si difficilement heureux. C’est qu’il semble y avoir, dans le bonheur lui-même, une contradiction logique. Tout homme désire être heureux. Or, la nature du désir semble nous condamner au tragique : le désir est manque si bien que tout désir comblé disparaît bientôt comme désir ; ce qu’on vient d’obtenir ne nous intéresse déjà plus, l’ennui point. Ce que je désirais, et qui devait faire mon bonheur, déçoit ; le bonheur lui-même que je désire, lorsque je l’atteins, m’ennuie. Le bonheur, coincé entre les oscillations du désir et de l’ennui, n’est donc que fugacement entraperçu et au final, perpétuellement manqué. Ne peut-on désirer ce qu’on a, et donc être heureux ? Oui, répond Compte-Sponville, mais alors il faut ramener le bonheur du côté de la joie et du plaisir. L’erreur, quand on définit le désir comme manque, c’est de l’assimiler à l’espérance. Espérer, selon Compte-Sponville, revient à désirer sans savoir (on ignore l’issue de notre espérance), sans pouvoir (on n’espère que ce qui ne dépend pas de nous) et sans jouir (la jouissance est sans cesse ajournée). Or, tout le désir n’est pas espérance. Il suffit donc d’écarter, dans notre désir de bonheur ou dans notre désir vers le bonheur, tout ce qui relève de l’espérance. Ceci distingué, il est évident – et même souhaitable – qu’on peut désirer ce qu’on sait, ce qu’on peut, ce qu’on a, bref, ce qui dépend de nous, et que nous pouvons nous en réjouir. C’est donc par là qu’il y a un bonheur possible en actes. Le bonheur désespéré, c’est donc un bonheur qui enracine son désir dans le présent en s’étant débarrassé du tragique de l’espérance.

Le bonheur, désespérément

Oscar Brenifer, Iris de Moüy / Le bonheur selon Ninon

Dans la collection … selon Ninon, nous suivons en BD les réflexions naissantes d’une petite fille. Dans Le bonheur selon Ninon, Ninon revient triste de l’école car sa meilleure amie ne lui parle plus. Son petit chien, sa maman, son père, ou Monsieur Augustin le voisin, tous essaient de la consoler et d’attirer son attention sur un des aspects du bonheur. Commence alors une série de réflexions et de discussions, où, comme dans les dialogues socratiques, le questionnement de Ninon est soutenu par un autre personnage. D’interrogation en interrogation, la réflexion progresse : faut-il, pour être heureux, ne rien attendre des autres ? Faut-il plutôt, comme son frère Martin, accepter un bonheur simple sans se poser de questions ? Peut-on, comme lui dit son père, choisir d’être heureux ? Et comment dépasser la nostalgie ou la souffrance ? La BD est destinée aux enfants à partir de 8 ans et peut convenir aux adultes. Elle peut être intéressante pour poser en famille les premières bases d’une réflexion sur le bonheur.

Le bonheur selon Ninon

 

Étienne Jalenques / La thérapie du bonheur

Voilà encore un exemple de ce que j’appelle un « titre d’éditeur », c’est-à-dire un titre pensé pour accrocher mais qui ne correspond que vaguement au contenu de l’ouvrage. Le livre aurait aussi bien pu s’appeler « la thérapie du Dc Jalenques + quelques principes de bon sens sur la vie ». Cela dit, il y a quand même du bon dans l’ensemble (je profite de l’occasion pour préciser que je ne vous propose qu’une sélection d’ouvrages, les moins intéressants étant simplement passés sous silence, il y a donc toujours quelque chose de positif dans les livres proposés). Ce livre, très personnel tant dans le contenu que dans la forme, se divise en trois parties distinctes. Dans la première, l’auteur nous parle de lui et de ses débuts ; dans la dernière, il expose le déroulement des séances de la méthode thérapeutique qu’il a mis au point. À moins d’un intérêt particulier, vous pouvez les sauter. Reste au milieu une centaine de pages, 20 petits chapitres, qui sont autant de rappel des principes de base d’un fonctionnement sain : nos enfants ne nous appartiennent pas, nos limites ne limitent pas notre bonheur, nous n’avons pas d’obligation à être utiles, vivre la souffrance sans s’y éterniser est la meilleure façon de la dépasser… L’ensemble est assez personnel, disais-je : l’auteur y mêle l’exposition de principes personnels, des cas thérapeutiques, des paraboles, le tout avec une forte inspiration des sagesses yogiques. Il nous livre ainsi un condensé de ce qui a manifestement été une recherche sincère et poussée du sens de la vie et de l’action bonne. On peut regretter le côté un peu brouillon ou désapprouver certains partis pris, mais on a parfois la bonne surprise de trouver des phrases qui donnent à penser, et c’est bien là le principal. À moins que vous ne soyez vous-même déjà un sage, vous trouverez sûrement dans ces pages de quoi réfléchir un peu.

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André Comte-Sponville, Jean Delumeau, Arlette Farge / La plus belle histoire du bonheur

Voici un petit livret écrit à trois voix : celle d’un philosophe (André Comte-Sponville), celle d’un historien des mentalités religieuses (Jean Delumeau) et celle d’une spécialiste de la vie populaire au siècle des lumières (Arlette Farge). Chacun présente, dans un jeu de question/réponse, une rapide histoire des conceptions du bonheur selon le point de vue de sa discipline. André Comte-Sponville nous rappelle que la Grèce antique est le berceau d’une certaine pensée du bonheur et des chemins possibles pour s’en approcher, que l’on suive Épicure, les Stoïciens ou Aristote. La possibilité de l’atteindre sera plus tard remise en question, qu’on en fasse un concept indéterminé comme Kant ou qu’on s’interroge sur la morsure du désir et du manque comme Pascal ou Spinoza. De son côté, Jean Delumeau retrace l’invention du paradis et de ses représentations. D’abord jardin luxuriant, lieu de félicité éternelle dans la proximité de Dieu et de ses anges musiciens, le paradis s’intériorise avec la Réforme pour devenir à l’époque moderne le lieu d’espérance où l’on retrouve les êtres aimés. Enfin, Arlette Farge nous montre qu’au XVIIIe siècle, le bonheur revient s’incarner sur terre : dans les plaisirs, le badinage, les discussions de l’homme des Lumières… S’il est encore trop tôt pour parler d’une « démocratisation » du bonheur, il y a tout de même l’idée que chacun, homme ou femme, peut s’amuser, boire, aller à la kermesse… Il faudra cependant attendre la révolution de 1789 pour que le bonheur du peuple devienne un réel enjeu politique et une quête collective. Il ressort de ces trois volets un panorama autant historique que conceptuel, qui nous rappelle que le bonheur n’a pas toujours eu la même importance, le même contenu, ni la même signification.

La plus belle histoire du bonheur

Oscar Brenifier et Catherine Meurisse / Le bonheur, c’est quoi ?

Dans la collection « PhiloZenfants », un opuscule sur le bonheur, à côté d’autres titres : la vie, c’est quoi ?, Le bien et le mal, c’est quoi ? ou encore Moi, c’est quoi ? pour initier les enfants à la réflexion sans passer par les auteurs et le vocabulaire philosophique. Comme les autres thèmes de la collection, ce petit livre illustré des dessins humoristiques de Catherine Meurisse, s’articule autour de six grandes questions : Comment sais-tu que tu es heureux ? Est-ce facile d’être heureux ? Dois-tu chercher à être heureux à tout prix ? L’argent rend-il heureux ? As-tu besoin des autres pour être heureux ? Pourquoi sommes-nous parfois malheureux ? À chaque question sont proposées plusieurs réponses, et à chaque réponse sont opposés quatre contre-arguments. De quoi progresser tout doucement vers l’argumentation et, peut-être le plus important, comprendre qu’il y a plusieurs points de vue possibles sur chaque chose. Intéressant, donc, pour l’ouverture d’esprit et la structuration de la pensée. La collection est destinée aux enfants à partir de 7 ans, mais vous pouvez commencer dès 4-5 ans en choisissant les questions les plus adaptées à vos enfants et en y réfléchissant avec eux.

Le bonheur, c'est quoi ?

Frédéric Lenoir / Petit traité de vie intérieure

Frédéric Lenoir connaît aussi bien les philosophes que les principes des grandes religions. Puisque le bonheur relève de la vie intérieure, c’est seulement un travail sur soi qui peut nous soutenir dans cette voie. Certes les dispositions innées et le tempérament jouent leur rôle, mais chacun peut apprendre à mieux vivre. Dans ce petit ouvrage présenté en 20 tableaux, Frédéric s’appuie sur les maîtres spirituels pour nous présenter ce qui permet de trouver un équilibre intérieur : on apprend d’abord à dire « oui » à la vie, on réfléchit sur l’amour et l’amitié, on rappelle l’importance de l’humour. Le lecteur est ici poussé à la réflexion comme par une brise légère.

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Martin Seligman / La force de l’optimisme

Chercheur en psychologie et professeur à l’université de Pennsylvanie, président de L’American Psychological Association, c’est l’un des fondateurs de la psychologie positive. Dans cet ouvrage, là encore, pas de recette miracle pour apprendre à regarder la vie avec les lunettes roses. Il s’agit plutôt d’une enquête de chercheur sur ce qu’est l’optimisme, sur la manière de penser des gens optimistes et sur les effets bénéfiques de l’optimisme dans divers domaines de la vie : meilleure santé, plus grande réussite professionnelle, vie personnelle plus épanouissante, succès sportifs… L’idée centrale du livre est que tout événement peut s’interpréter selon 3 critères : la permanence, la généralisation et la personnalisation. L’optimiste a tendance à croire que les événements positifs qui lui arrivent sont durables, touchent de grands pans de sa vie et sont dus à ses capacités propres ; les événements négatifs, au contraire, sont momentanés, ne touchent d’un aspect restreint de sa vie et ne sont pas de son fait. Évidemment, le pessimiste croit exactement le contraire. Et comme l’optimisme se travaille, rien ne nous empêche de nous inspirer de ce mode de penser. Le livre contient de petits tests permettant d’ailleurs de situer notre « niveau de départ ». Ainsi ce que nous pouvons développer en nous, fondamentalement, c’est la certitude que quoi qu’il arrive, nous pouvons agir pour améliorer notre sort.

Martin Seligman, La force de l'optimisme

Moussa Nabati, Le bonheur d’être soi

Pour en finir avec les nœuds intérieurs

Moussa Nabati est docteur en psychologie et psychanalyste. Cet ouvrage a reçu le prix du magazine Psychologie en 2007, et c’est mérité. Rigoureux, clair, on n’est pas ici face à un livre de développement personnel mais bien face à la pratique d’un thérapeute. Le bonheur d’être soi, ce n’est pas un livre sur le bonheur en général mais sur le bonheur qu’il y a à devenir enfin soi-même, c’est-à-dire à entendre, comprendre, exprimer ses désirs profonds malgré les inévitables influences et traumatismes internes que nous subissons tous à des degrés divers. Ce qui rend heureux, c’est d’abord reconnaître et dénouer ces nœuds internes, souvent issus de l’enfance, qui empêchent la libre circulation de notre énergie vitale. Devenir soi, c’est ainsi apprendre à s’écouter, à se respecter, à s’aimer soi-même suffisamment pour se procurer ce dont nous avons besoin, à être en lien avec les autres et avec sa propre histoire sans être aliéné à personne ni à aucune idée toute faite. Bref, c’est d’abord oser être soi.

Moussa Nabati, Le bonheur d'être soi